Olivier Cathus | Ce Boug’La

Olivier Cathus, Ce Boug'La

Pour répondre à cette invitation de Sly à fêter les 5 ans du Goûter, on commence par se demander ce qu’on va bien pouvoir amener…
Quand on lance un site comme le sien, c’est parce qu’on a envie de partager. Généreusement, gracieusement. Quand mon fils aîné rentre affamé de l’école en m’expliquant qu’il a partagé son goûter, je me garderai bien de lui dire que s’il veut devenir trader, il prend un mauvais chemin en distribuant ses tartines ou ses biscuits aux copains.
Dans le cas des cinq ans du Goûter, c’est un peu pareil. Je sais déjà que Sly a lancé des invitations pour que chacun amène son manger mais qu’il aura déjà prévu et préparé pour tout le monde : métaphoriquement parlant, il a assuré au niveau jus de fruits, tartes, gâteaux, coca, limonade… Donc, plutôt que la viennoiserie du quatre heures, j’ai déjà anticipé et prévu l’apéritif… 

Ce Boug’la, « Un Deux Trois Ti Punch »
D’où ce « Un Deux Trois Ti Punch », interprété par Ce Boug’la. Une vieille biguine (pléonasme ?) qui donne envie de lever le coude… Et après tout, comme le chante Moussu T (référence commune à Sly et moi) sur son dernier album, on sait bien que l’alcool « ça rend souple et bouléguant« … Mais tout de suite arrive la question fatale : qui est ce bougre ? Ce Boug’la ?

Pour ne pas arriver les mains vides et faire honneur à notre hôte, je voulais en effet lui amener un cadeau qu’on ne trouverait nulle part ailleurs. Plutôt qu’un mix, ou une sélection de titres fétiches évoqués sur l’Elixir, puisque c’est par le biais de nos sites respectifs que Sly et moi avons fait connaissance, j’ai pensé qu’il serait plus amusant de proposer quelques titres encore absents de cette « bibliothèque de Babel » qu’est internet.
Ainsi, ce « Un Deux Trois Ti Punch », avec ses verres de rhum en rafale, et « Mouge (Chant des Dancurs) » de Ce Boug’la remplissent-ils ce cahier des charges. C’est une terra incognita encore non révélée sur la Toile. Non seulement vous ne trouverez nulle part sur la toile ces deux titres, mais vous ne rencontrerez pas non plus la moindre information sur cet artiste…

Créer et alimenter un site ou un blog, outre que cela suppose qu’on se sente capable d’avoir quelque chose à dire, est la manifestation d’une espèce de dinguerie… Que lisent les gens atteints de ce syndrome ? Des romans ? Des essais ? De la poésie ? Des livres sur la musique ? La presse ? Oui, peut-être, mais aussi ce type de littérature très particulière qui leur est chère : les notes de pochettes, les livrets… Les fiches techniques des albums, les crédits, voire même pour les plus acharnés les listes de remerciements ! De cette lecture essentielle se détacheront quelques noms, qui seront ensuite recherchés sur la Toile afin d’en découvrir plus, faire des recoupements, établir des correspondances avec d’autres noms… Les bloggueurs ou diggers de ce genre sont, pour reprendre un terme de Sly lui-même, des fly fuckers. J’ajouterai même : des serial fly fuckers !

Pour répondre à l’invitation du Goûter, j’ai donc choisi une énigme, une quête sans réponse. Car si vous avez désormais l’accès à ces deux titres en exclusivité mondiale, ici-même sur Le Goûter, nulle part vous ne trouverez sur la toile trace de leur auteur*.
Un sévère constat d’échec ?

ce boug'la, exclusif gouter d'anniversaire

Le pire, c’est que concernant ce bougre, je n’en ai pas plus à offrir dans mes archives papier. Aucune trace de lui dans ma bibliothèque… Les seuls faits concrets et tangibles de l’existence de Ce Boug’la sont donc ces deux morceaux. Ils figurent sur une compilation, Antillaisement Vôtre : Biguines-Salsa, Succès des Années 1950-59, lancée en 1976 et ré-éditée par EMI en 1992… C’est cette dernière version qui est en ma possession, un double CD que j’avais acheté d’occas’, il y a des années de cela.
Une compilation où figurent quelques orchestres vedettes, ceux d’Al Lirvat, Sam Castendet, Robert Mavounzy ou Moune de Rivel. Malheureusement, le livret est réduit à sa portion congrue, pour ne pas dire inexistant. Il est juste précisé le nom de l’interprète, le titre du morceau et, entre parenthèses, ses auteurs. « Un Deux Trois Ti Punch » est co-signé par Cité – Alphonso – Pépin – Gomis, « Mouge (Chante des Dancurs) » par A. Nabajoth et Alphonso… Ah, ah, et si ce Alphonso, c’était le vrai nom de Ce Boug’la, vu qu’il est présent sur les deux ? D’après le titre de la compil’, on peut au moins supposer que ces deux morceaux furent enregistrés dans les années cinquante.

Alors, depuis quelques années, je lance parfois une requête sur Google, comme une bouteille à la mer, pour essayer de trouver quelques traces de ce bougre. Rien. Rien. Rien. Ni en cherchant Ce Boug’ la, ni en cherchant un quelconque Alphonso… Tout juste par déduction, pouvons-nous supposer qu’il est guadeloupéen plutôt que martiniquais.

C’est également sur cette même compilation que j’ai découvert Jenny Alpha et suis littéralement tombé sous le charme rétro de son « Douvant Pote Doudou ». D’ailleurs, pendant longtemps, ne remontait guère plus d’informations de cette autre pêche que de celle au bougre… Jusqu’à ce qu’elle revienne sous les feux de la rampe, jusqu’à son centenaire

Alors, on essaie un autre biais : sachant que les morceaux figurant sur cette compilation ont été choisis par Gilles Sala, qui ne s’est pas oublié dans sa sélection puisque quatre de ses titres y figurent, on entreprend de chercher des informations à partir de son nom à lui. Gilles Sala jouit d’une bien plus grande notoriété mais cela reste toutefois bien maigre. Pas de page lui étant consacrée en particulier, ni chez wiki, ni ailleurs. De loin en loin, on retrouve son nom… On peut trouver quelques uns de ses disques, on découvre qu’il a été un homme de radio d’une grande importance dans la diffusion en métropole des musiques africaines, qu’il serait même à l’origine du soukous congolais, qu’il a réalisé la photographie de la pochette originale du « Soul Makossa » de Manu Dibango… Mais aucune allusion à Ce Boug’la dans les pages qui lui sont consacrées…

C’est sûr, un jour (je me le dis depuis des années), j’irai fouiller dans les archives d’une bibliothèque dédiée à la culture antillaise et je finirai bien par trouver dans quelque livre d’un ethno-musicologue publié chez L’Harmattan ou Présence Africaine, la mention du bougre qui nous préoccupe aujourd’hui.

En attendant, sans aller jusqu’à utiliser les grands mots du style intelligence collective, le mystère qui entoure Ce Boug’la est une question posée à qui passera par là, qui lira cette page. Car la récompense du blogueur fou vient des quelques commentaires laissés par les visiteurs sur ses pages, souvent pour amener une précision, l’informer d’un détail qu’il ignorait. Cette mutualisation des connaissances permettra peut-être de découvrir quelques indices, une photo…

Ce Boug’la, « Mouge (Chant des Dancurs) »
Il se peut aussi que notre Bougre n’ait enregistré que ces deux titres, un seul petit 45Tours… D’ailleurs, outre le versant festif de « Un Deux Trois Ti Punch », « Mouge (Chant des Dancurs) » est aussi lent et grave que l’autre est enjoué. Deux visages : Face A et Face B ? D’un dépouillement de troubadour des mornes, juste guitare et voix, « Mouge » est une chanson habitée, loin de tout folklore, quelque chose qui semble venir de loin. Pour aimer profondément les musiques roots brésiliennes et l’authenticité de sambistes comme Clementina de Jesus ou Nelson Cavaquinho, je ne peux passer à côté de ce chant du fond des âges, cette voix grave et légèrement voilée… Sans que l’on aille crier au chef d’œuvre inconnu, je pensais que Ce Boug’la méritait de trouver sa place sur la Toile…
Ces deux morceaux m’ont accompagné depuis que je les ai découverts. Je les ré-écoute régulièrement, je pourrais presque dire qu’ils font partie de mes morceaux fétiches et peu importe qu’on ignore tout de leur auteur. L’imagination est parfois plus belle que la réalité. Quant au fait de rentrer bredouille de ces recherches, peu importe car ce qui compte n’est pas tant où on arrive mais le chemin qu’on a pris pour y parvenir.

* J’ai repéré une vidéo portant le même titre « Un Deux Trois Ti Punch » mais il n’y a aucun rapport entre ce dancehall et le morceau de Ce Boug’la. Par contre, Rony Théophile reprend sur scène « Mouge » avec toute une troupe de danseurs traditionnels et athlétiques et des danseuses en tenue folklorique foulard et madras.

NB :
Un billet où vous apprenez que l’on m’appelle Sly et où je vous apprends qu’Olivier Cathus tient un excellent blog : l’Elixir du Dr Funkathus et qu’Olivier est aussi l’auteur d’un des seuls ouvrages en France sur le Funk : l’Âme Sueur.
Merci Dr Funkathus. C’est un beau cadeau posé à la table.

6 réflexions au sujet de “Olivier Cathus | Ce Boug’La”

  1. Bonjour,
    J’ai entendu hier (le 30 aout) à 20h39 sur radio nova 1,2,3 Ti punch de Ce Boug’la, et depuis cela ne me sort plus de la tête… Donc après quelques recherches, j’arrive sur ce billet, mais les liens url sont obsolètes. Ma question est la suivante : pourrais_tu rafraichir les liens que je puisse me rafraichir en musique à l’heure du décollage ? Merci

  2. Salut Seeker, cool de voir qu’en cherchant on trouve, un peu comme ton nom…
    Bref le Boug’la est actif ; si tu repasses par ici et que tu l’attrapes, ça serait super zen de nous le dire.
    D’avance merci et si tu repasses n’hésites pas non plus à nous faire partager un son. 🙂

  3. Le boug’ pour dire ce mec en argot revient à la mode en ce moment. On entend de plus en plus boug dans des morceaux de rap ou hip-hop en France.

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